Patrimoine : une aventure humaine
L'irrigation gravitaire
La situation hydraulique actuelle de la Crau résulte donc d’une conquête de l’eau pluriséculaire. Le système de distribution de l’eau, qui assure un partage équitable de la ressource, s’est maintenu au cours des siècles.
Un système d’irrigation complexe
Pour remédier au manque d’eau dans la plaine de la Crau, les hommes ont donc conçu un réseau complexe d’irrigation permettant la création des prairies verdoyantes de la Crau verte. Ce moyen d’irrigation, à partir des eaux dérivées de la Durance, a entraîné au cours du temps le dépôt d’une importante couche de limon fertile, favorable à la culture.
La construction d’un sol et de nappes phréatiques
L’irrigation a des effets induits sur le sol et le sous-sol. Sous l’action de l’irrigation gravitaire, la plaine de la Crau, caillouteuse et inculte à l’origine, est devenue une plaine riche. Un sol fertile s’est construit grâce à l’arrosage. L’eau de la Durance charrie des limons qui se composent d’importantes quantités de matière solide, argile, carbone, chaud, azote… le tout réunissant les conditions les plus favorables à la constitution de terres arables très fertiles.
Un nouveau visage de la Crau : du coussoul au calant
Les techniques d’irrigation gravitaires supposent tout d’abord une préparation du terrain à irriguer. L’irrigation de la Crau à contraint les cultivateurs à faire des défrichements pour la mise en culture des coussouls. Il s’agit avant tout d’un travail d’épierrement pour pouvoir cultiver le sol et pour l’arroser. Dès le XVIe siècle, cette préparation du sol est définie dans un contrat établi entre Adam de Craponne et les frères Ravel pour l’exploitation d’une centaine d’hectares en Crau. Jusqu’au milieu du XXe siècle, les paysans ramassaient les pierres à la main, les mettaient dans un sac porté sur le dos, puis les déposaient en tas pour former des “Clapeiro”, c’est-à-dire des amas de pierres. Le mot calant est utilisé en Crau pour désigner ces parcelles épierrées, délimitées par ces amas de pierres sur toute la longueur.
Outre la nature du sol, il convient d’avoir un terrain nivelé pour l’arroser. Ce travail préalable du terrain est indispensable pour l’irrigation gravitaire. Le canal doit être situé en haut de la pente, l’eau déborde par submersion et recouvre le champ, cela suppose un sol égalisé. La technique de travail qui consiste à donner une pente homogène à un terrain était déjà pratiquée au XVIe siècle au moment de la mise en place des premiers arrosages, comme l’atteste cet acte notarié de 1571 dans lequel Adam de Craponne accorde à Antoine de Cordes des droits d’eau sous réserve de préparer son terrain : “le près sera fait à niveau et aplani.” Ces recommandations techniques mentionnées dans un acte notarié montrent toute l’importance du nivellement, sans lequel l’arrosage ne peut se faire. La mise à niveau consiste à équilibrer la surface du sol de telle manière que l’eau puisse s’étaler.
L’irrigation en Crau est de type gravitaire
Il s’agit de la plus ancienne technique utilisée par l’homme. La prairie est submergée pendant quelques heures, le temps que l’eau descende en bout de parcelle.
La période d’irrigation dure 7 à 8 mois, elle débute courant mars et se termine en octobre. L’irrigation des parcelles doit s’effectuer tous les 7 à 10 jours, elle se fait selon la répartition des tours d’eau entre les producteurs.
Chaque hectare arrosé reçoit en moyenne par an entre 15 000 et 20 000 m3 d’eau. Les quatre cinquièmes étant reversés au milieu naturel notamment dans la nappe phréatique. L’irrigation reste un point clé de la production de foin de Crau. Une irrigation bien menée conditionne la quantité et la qualité du fourrage. De plus, ce système d’irrigation présente l’intérêt de limiter la pollution du foin par de la terre (nids de rongeurs), ce qui diminue le taux de poussière du foin. Des analyses d’eau d’irrigation venant de la Durance ont montré une certaine richesse en éléments minéraux. En effet, l’eau d’irrigation apporte suffisamment de minéraux pour satisfaire les besoins du foin de Crau, à l’exception des trois principaux éléments : Azote (N), Phosphore (P) et Potassium (K), qui doivent être apportés à part mais dans des quantités moindres. Cette eau est, entre autres, très riche en calcium.