Patrimoine : une aventure humaine
Le pastoralisme
En Crau, le pastoralisme et la production de foin ont tissé au cours du temps des liens d’interdépendance extrêmement forts. Le pâturage des regains d’automne assure la fumure des prés et une bonne reprise de la végétation la saison suivante. L’élevage ovin et la production de fourrage ont su s’adapter à ce terroir si particulier. Ils permettent le maintien et l’équilibre de l’écosystème entre la Crau sèche des coussouls et la Crau verte des “prairies irriguées”.
“La principale richesse de la Crau consiste dans les herbes fines et savoureuses dont elle abonde. Les moutons qui s’en nourrissent en écartant les pierres, ont un degré de bonté qui les rend supérieurs à tous les autres. Les Romains connaissaient comme nous l’excellence de ces pâturages.”
Abbé Papon, Voyage en Provence, 1787
Plus de 100 000 moutons vivent en Crau, une bonne partie de l’année. Sinon, ils sont dans les Alpes…
La Crau est traditionnellement une terre pastorale qui tire parti du cycle de l’herbe. Les prairies sont la base hivernale des troupeaux transhumants.
En été, la plaine de Crau est trop sèche et il n’y a plus assez d’herbe pour nourrir les troupeaux. Les bergers vont donc chercher l’herbe nouvelle dans les Alpes : c’est la transhumance. Lorsque les troupeaux reviennent après l’été dans la plaine de Crau, ils y trouvent une ressource de qualité, sûre et abondante. C’est un atout essentiel car c’est aussi la période de l’agnelage.
La découverte de nombreuses bergeries néolithiques et gallo-romaines, dans le sud de la plaine, atteste du caractère multiséculaire de l’élevage en Crau. À partir du XIIIe siècle, la région devient le berceau de la grande transhumance estivale provençale. Si les moutons étaient alors destinés à la production de laine, une reconversion des troupeaux vers la production de viande a été rendue nécessaire par une grave crise lainière au XIXe siècle.
La Crau accueille aujourd’hui les plus gros troupeaux français. Le système d’alimentation repose, pour la grande majorité des troupeaux, exclusivement sur un pâturage de type extensif. Trois périodes peuvent être définies : la transhumance vers les massifs alpins en été, le pâturage des regains de 4e coupe des prairies de foin en descente des estives et, enfin, le pâturage des coussouls entre mars et juin. Des cultures fourragères annuelles (herbe de printemps) peuvent occasionnellement compléter le cycle.
Le cycle d'exploitation des prairies de Crau
L'interdépendance entre la production de foin et l'élevage ovin
La pratique multiséculaire du pâturage ovin lie la Crau sèche et la Crau verte
Il y a quatre à cinq mille ans, les premiers bergers parcouraient déjà la Crau avec leurs moutons et leurs chèvres. Des traces de campements temporaires, ainsi que des marques d’enclos (murs en arc de cercle de 30 ou 40 m de long) datant de la fin du Néolithique (vers 2100 avant notre ère) ont ainsi été découvertes lors des fouilles archéologiques réalisées ces dernières années. La datation des carbones prélevés sur site indique que la végétation était composée de garrigue basse à petits ligneux clairsemée de pin. Les feux permettaient aux nomades d’entretenir des pâturages pour leur cheptel.
Cette activité pastorale s’est prolongée dans la Crau gallo-romaine. Les moutons y étaient élevés pour leur laine, à partir de laquelle étaient fabriqués des tissus et des draps. Les bergers vivaient alors avec leur famille sur des sites comprenant bergerie, cabanon, four et puits. Ils travaillaient pour le compte de colons romains. Les bergers de cette époque pratiquaient déjà une transhumance estivale vers les collines de l’arrière-pays au climat plus frais. Durant le Moyen ge cette activité s’est maintenue : la Crau était divisée en immenses parcelles appelées coussouls appartenant à l’aristocratie, aux établissements ecclésiastiques ou aux communautés comme celle de la ville d’Arles. Les propriétaires de troupeaux, que l’on appelait “capitalistes” (le terme cheptel venant de capital) recrutaient alors leur main-d’œuvre parmi les habitants des montagnes de l’Ubaye, du Dauphiné, de l’Oisans et même du Piémont. C’est à cette époque que se met véritablement en place le système de transhumance estivale.
Actuellement, plus de 100 000 brebis réparties en 160 élevages parcourent le coussoul entre mars et juin. Puis, à la fin du printemps, les moutons sont déplacés vers le massif alpin via des bétaillères spécialement aménagées afin de pâturer les alpages des Préalpes où l’herbe est abondante et de bonne qualité après la fonte des neiges. La transhumance permet ainsi de pallier la sécheresse et la chaleur qui sévissent l’été dans le coussoul.